Parmi la trentaine de classements internationaux d’universités (sans compter les 150 classements nationaux), quatre semblent avoir acquis une position dominante au plan mondial. Ces « Big Four » sont les classements établis par :

Times Higher Education (souvent abrégé en THE dans la suite) ;

– Quacquarelli Symonds (systématiquement abrégé en QS dans la suite) ;

– CWTS (désigné également par « classement de Leiden ») ;

– ARWU (désigné également par « classement de Shanghai »).

Nous nous focalisons donc sur ceux-là1 dans ce chapitre. Notre approche étant globale, nous ne considérons donc ici que les classements globaux, mais pas les classements thématiques2 malgré leur évident intérêt3. Nous renvoyons également à (Usher 2017) pour un résumé particulièrement intéressant de l’historique des classements.

Le présent chapitre débute par une analyse succincte de la méthodologie de ces quatre principaux classements internationaux des universités. Nous ne donnons pas ici une analyse comparée détaillée : on trouve d’excellentes analyses dans la littérature, notamment dans le remarquable rapport (Charpin et al. 2017). Nous fournissons les principaux indicateurs que prennent en compte ces organismes et précisons ceux qui sont totalement traçables et vérifiables de manière indépendante et ceux qui le sont moins. Nous indiquons aussi le type d’institutions les plus favorisées selon la méthodologie adoptée. Quel que soit le classement pris en compte, ils visent les universités ayant une activité de recherche notable, soit au mieux environ 5 % de l’ensemble des universités du monde.

Nous poursuivons par un examen plus précis du top 20, du top 200 et du top 1 000 (le vocable de top 1 000 désigne la totalité des universités classées, éventuellement différent de 1 000 institutions ; la section 3.4 précise les choses ; voir aussi l’annexe 4) classées par THE, QS, CWTS et ARWU sur les périodes considérées. Apportons dès maintenant les précisions suivantes.

Périodes de référence : ce terme, utilisé fréquemment dans la suite de l’ouvrage, recouvre les périodes sur lesquelles nous conduisons cette étude. Elles diffèrent d’un organisme de classement à l’autre. Il s’agit de la période 2011-2021 pour THE, 2012-2021 pour QS, 2011-2019 pour CWTS et 2003-2020 pour ARWU.

Classements considérés : comme déjà indiqué, nous ne considérons que les classements mondiaux globaux et pas les classements thématiques. En outre :

– THE, QS et ARWU : nous prenons les résultats du classement « Overall » pour THE, « Overall score » pour QS et « Total score » pour ARWU selon l’indicateur « PUB » ;

– CWTS prudemment laisse à l’usager le choix des indicateurs à privilégier. Nous avons choisi le critère PP-top 10 % pour établir « notre » classement du top 20, du top 200 et du top 1 000 (voir la section 3.4 expliquant la méthodologie pour la signification de ce critère).

Points versus pourcentages : il s’agit de lever une ambigüité de terminologie souvent aussi source d’erreurs de calcul et donc de compréhension (cela ne se limite d’ailleurs pas au cadre des classements d’universités). Les augmentations de pourcentages sont souvent interprétées comme des augmentations en pourcentage en gardant les mêmes pourcentages. Il est plus judicieux de parler de points d’augmentation pour éviter ce type d’erreur conceptuelle. Illustrons la notion de « point » et la différence entre « point » et « pourcentage » sur un exemple venant du classement de THE pour le top 200. Dans le tableau 3.10 relatif à ce classement de THE que l’on trouve un peu plus loin, la part des « autres pays » passe de 59,09 % en 2011 à 65,84 % en 2021. Nous disons ici qu’elle augmente de 6,75 points dans l’intervalle, car 6,75 = 65,84 – 59,09. Il serait faux de dire qu’elle augmente de 6,75 % puisqu’une telle augmentation mènerait de 59,09 à 63,08 % et non pas à 65,84 %. L’augmentation en pourcentage est en réalité de 11,43 % environ, et donc bien supérieure à 6,75 %. Il est ainsi arithmétiquement équivalent de dire que l’augmentation est de 6,75 points, ou de dire qu’elle est de 11,43 %. Mais cette seconde présentation en termes de pourcentage, aussi correcte soit-elle, nécessite un calcul supplémentaire. Bref : nous adoptons la terminologie du « point », compacte, aisée à comprendre et à manier. Point final.

Origine et qualité des données : la qualité des données est évidemment primordiale.

– Classement de THE : nous avons utilisé les fichiers au format Excel com-muniqués par Duncan Ross de THE, et qui portent sur la période 2011-2020. Nous avons récupéré les données directement sur le site (THE n.d.) pour 2021. La qualité des données fournie est excellente, consistante au cours du temps, et en adéquation avec ce qui figure sur le site (THE n.d.).

– Classement ARWU (dit de Shanghai) : nous avons utilisé les données sur le site (ARWU n.d.) et avons constitué les fichiers au format Excel correspondants selon les pays. La qualité des données est excellente et consistante au cours du temps.

– Classement de QS : nous avons utilisé les données au format de fichiers Excel figurant sur le site (voir le second hyperlien de la référence (QS n.d.)). Une difficulté que nous avons rencontrée est un manque de consistance des dénominations au cours du temps : les noms des universités ne sont pas homogènes d’une année à l’autre, leurs langues changent, des accents aigus ou graves sont rajoutés, etc

– Classement de CWTS Leiden : nous avons utilisé les fichiers Excel figurant sur le site (CWTS Leiden Ranking n.d.) dans la partie « Downloads ». Ils portent sur la période 2011-2019. Nous les avons classés selon le critère PP (top 10 %). Nous avons rencontré le même type de difficulté que pour QS concernant les noms des universités, mais dans des proportions bien plus grandes. Ceci s’est produit des dizaines si ce n’est des centaines de fois : les fichiers en sont truffés. Malgré cela, nous avons essayé de faire un travail sérieux, à la main en grande partie puisque les méthodes automatiques étaient limitées. Nous ne pouvons donc pas garantir avec le même degré de confiance le résultat de nos travaux sur la base de ce que le site du classement de Leiden propose. Nous invitons le lecteur à garder ceci bien présent à l’esprit lorsque nous présenterons les résultats concernant le classement de Leiden.

Nous invitons dans la foulée les organismes de classements à faire le ménage dans leurs fichiers pour faciliter la lisibilité et la portabilité de leurs résultats.

En prenant une estimation basse d’au moins 20 000 universités sur Terre (en réalité probablement bien davantage), ces paliers – top 20, top 200 et top 1 000 (au sens précisé dans la section ad hoc) des universités classées – mesurent respectivement grosso modo le top 1 pour mille, le top 1 %, et le top 5 % de l’ensemble des universités.

Le nom des universités figurant dans le top 20 des quatre classements retenus (THE, QS, ARWU et CWTS) sur les périodes disponibles est donné dans l’annexe 2. Nous traduisons le classement du top 20 en termes de pays et de civilisations au sens de Huntington, et faisons une analyse comparative des résultats entre les classements.

L’approche du top 200 et du top 1 000 se fait exclusivement en termes de proportions des pays phares4 et de civilisations au sens de Huntington, en tenant compte de l’ensemble des pays concernés dans ce dernier cas5, tant au sein d’un même classement (THE, QS, CWTS et ARWU) qu’en comparant ces classements (globaux, précisons encore une fois, et non pas thématiques).

Disposer de chiffres sur une période déjà relativement significative permet de dessiner des tendances et des dynamiques. Ce sont ces tendances et dynamiques que nous analysons plus précisément à l’aune tant des pays phares des civilisations que des civilisations elles-mêmes.

Il est bien entendu primordial d’aller au-delà du constat, tant des chiffres individuels que de leurs dynamiques et tendances sur une période donnée. Il faut essayer de comprendre ce que cela signifie, à savoir l’origine du phénomène observé et la trajectoire qu’il dessine. Ces aspects sont traités dans le chapitre 5 de cet ouvrage.

1. Les Big Four et leurs méthodologies

Avant de rappeler les principaux critères, indicateurs et leur pondération de ces classements, indiquons deux différences de philosophie parmi ces Big Four : l’une sur l’objectivité des données, l’autre sur « l’absolu et le relatif ».

D’un côté, ARWU et CWTS (autrement dit les classements de Shanghai et Leiden) se fondent sur des données objectives et traçables6, et ne sollicitent que très peu les institutions individuelles, car les données sur lesquelles ils s’appuient sont pour l’essentiel publiques. Ainsi, ARWU et CWTS classent les universités sans que celles-ci n’en fassent la demande7.

D’un autre côté, si THE et QS fondent une partie de leur évaluation sur des données objectives et traçables, ils l’appuient également sur des données fournies par les universités elles-mêmes, et aussi sur des enquêtes confidentielles. Le classement suppose donc d’une part que les données fournies par les institutions soient fidèles à la réalité. Notons que cela signifie aussi que les universités individuelles fassent la demande8 d’être classées par THE et QS. D’autre part, les enquêtes confidentielles, qui portent sur la notoriété auprès des pairs, ne sont pas accessibles. Se pose donc la question de la signification réelle de l’information apportée par ces enquêtes, d’autant plus qu’un phénomène de « spirale réputationnelle ascendante » n’est pas à exclure9.

La seconde différence importante réside dans l’approche relative versus absolue. Plus précisément, ARWU privilégie des nombres absolus, ce qui a tendance à favoriser les « grosses » structures (et donc à encourager les fusions d’universités d’ailleurs). THE et QS utilisent des ratios et donc pondèrent des données absolues par la taille des institutions considérées. CWTS Leiden fournit tant les données absolues que relatives. Passons maintenant en revue les indicateurs principaux de ces classements.

THE : THE utilise 13 indicateurs de performance regroupés dans 5 groupes (ou critères). Ces 5 groupes sont « teaching » (the learning environment) ; « research » (volume, income and reputation) ; « citations » (research influence) ; « international outlook » (staff, students and research) ; et « industry income » (knowledge transfer). Ils recouvrent repectivement l’enseignement ; la recherche ; les citations scientifiques ; l’internationalisation de l’institution considérée et les revenus de l’industrie.

Ces aspects mesurent l’environnement pédagogique, le volume et l’impact de la recherche et les capacités de transfert technologiques au niveau international. Le poids respectif de ces indicateurs est donné dans le tableau 1.

Tableau 1. THE – indicateurs : poids

Notons que THE exclut de ses classements les universités qui n’enseignent pas au niveau « Undergraduate » (1er cycle menant au grade de Bachelor), ou dont la production scientifique sur 5 ans est inférieure à 1 000 publications avec un minimum de 150 publications/an, ou encore si plus de 80 % de leur production scientifique est dans un seul des 11 domaines scientifiques définis par THE.

Les universités sont invitées à remplir un questionnaire assez précis à partir duquel THE calcule la plupart des ratios indiqués dans le tableau 3.1. Cependant THE détermine seul l’indicateur « Citations » à partir des bases de données de Scopus. THE remplit également seul les indicateurs de réputation (reputation survey) pour la recherche et pour la formation. Ces indicateurs sont très importants pour la position finale des universités puisque leur poids cumulatif est de 33 %. Autant les valeurs données aux autres indicateurs utilisés par THE sont traçables et transparentes, autant ces indicateurs de réputation ne le sont guère. Ils se basent sur un questionnaire envoyé à environ 10 000 chercheurs répartis géographiquement et par discipline. Cependant la liste de ces chercheurs n’est pas publiée. Ensuite, cette enquête favorise les institutions dont la réputation est déjà installée depuis plusieurs siècles et guère les plus jeunes institutions10. Le nombre d’universités classées par THE a crû au cours des années pour atteindre 1 527 en 2021.

QS : comme THE (les deux institutions ont « divorcé » en 2009), QS utilise des indicateurs relatifs, et des résultats d’enquêtes. Six indicateurs entrent en ligne de compte (tableau 2).

Tableau 2. QS – indicateurs : poids

La « réputation académique » est le fruit d’une enquête portant sur 80 000 professionnels de l’enseignement supérieur et de la recherche, et s’expose aux mêmes critiques que les enquêtes de réputation menées par THE. La « réputation auprès des employeurs » est similaire dans le sens qu’elle se base sur environ 40 000 réponses à une enquête confidentielle de QS. Les citations entrant en compte dans le 4e critère sont extraites de la base Scopus. Les autres chiffres (nombre de personnel académique, proportion du personnel international et proportion des étudiants internationaux) sont obtenus directement auprès des universités. Le nombre d’universités classées par QS a essentiellement crû au cours des années pour atteindre 1 003 en 2021.

CWTS – Classement de Leiden : le classement de Leiden utilise exclusivement des données bibliographiques provenant de Web of Science produites par Clarivate Analytics sur un certain nombre d’années (période 2014-2017 pour le classement 2019 par exemple). Plus précisément, CWTS utilise les données du Science Citation Index Expanded (SCIE), du Social Sciences Citation Index (SSCI) et du Arts & Humanities Citation Index. Les publications doivent être du type « article » ou « review ». En particulier sont exclues les publications dans les actes de conférences et les ouvrages11.

En outre les publications doivent être en anglais12. CWTS procède aussi à des « enrichissements » des données provenant du Web of Science, par exemple en monitorant la politique d’accès plus ou moins libre aux publications, ou en déterminant le genre sexué des co-auteurs. Dans la droite ligne d’autres classements, CWTS s’attache à classer les données selon des champs thématiques disciplinaires (au nombre de 5 en 2019).

Il fournit une perspective multidimensionnelle des performances des universités individuelles. Le focus est déclaré exclusivement centré sur la recherche avec des indicateurs sur l’impact scientifique, la collaboration scientifique, les publications en accès libre (open access) et la « gender diversity ». Les indicateurs sont soit pris en compte en termes absolus ou en termes relatifs (par exemple nombre total de publications versus pourcentage de publications avec un fort indice de citations), et des intervalles de stabilité sont fournis. Pour nos calculs, il a bien fallu faire un choix. Ce choix s’est porté sur l’indicateur d’impact scientifique « PP (top 10 %) ». Il mesure la proportion des publications d’une université, comparée aux autres publications du même domaine scientifique de la même année, qui font partie du top 10 % les plus citées. Le nombre d’universités classées par CWTS a crû au cours des années pour atteindre 963 en 2019.

ARWU – Classement de Shanghai : les universités prises en compte sont celles qui ont des prix Nobels, des médailles Fields, des Highly Cited Researchers ou des articles publiés dans Science et Nature. Les universités avec un nombre significatif d’articles indexés par Science Citation Index-Expanded (SCIE) ou par Social Science Citation Index (SSCI) sont également inclues. Plus précisément, 6 indicateurs sont regroupés sous 4 critères.

Tableau 3. ARWU – indicateurs : poids

L’avantage indéniable du classement de Shanghai est sa transparence et sa traçabilité complète puisque tous les indicateurs sont clairement définis, les sources de données publiées. Le poids donné aux détenteurs de prix Nobels et de médailles Fields (y compris parmi les alumni) rend difficile le classement de jeunes institutions13. Par ailleurs, les cinq premiers indicateurs sont des chiffres absolus. Cela facilite donc les « grosses » institutions, et encourage les fusions d’institutions qui peuvent ainsi additionner leurs prix Nobels, médaillés Fields, Highly Cited Researchers et articles référencés. Le seul indicateur relatif est le dernier. Il est obtenu en divisant les scores pondérés des cinq premiers indicateurs par le nombre d’équivalents temps-pleins du personnel académique. Le nombre d’universités classées par ARWU a crû au cours des années pour atteindre 1 000 en 2020.

Les principes généraux des Big Four ayant été expliqués, il est maintenant temps de regarder plus précisément les résultats des classements.

2. Analyse du top 20

La liste des universités individuelles qui composent le top 20 des classements de THE, QS, CWTS et ARWU se trouve dans l’annexe 2, et s’obtient à partir des données présentes sur les sites des organisations de classements. Les tableaux 3.4 à 3.8 résument la situation en termes des pays d’appartenance des membres du top 20 pour chacun des quatre classements sur chaque année de la période de référence. L’existence d’ex aequos explique que parfois il y ait davantage que 20 universités classées (ainsi 21 universités figurent dans le top 20 de THE en 2021). Notons que Chine s’entend ici (et dans l’ensemble de cette étude, a fortiori dans le top 200 et le top 1 000) comme Chine continentale. Les universités de Hong Kong, de Macao et de Taiwan sont comptées séparément. Pour alléger les notations, nous écrivons dorénavant à l’anglo-saxonne USA et UK en lieu et place des États-Unis et du Royaume-Uni dans les tableaux.

Tableau 4. Top 20 – THE

 

Tableau 5. Top 20 – QS

 

Tableau 6. Top 20 – CWTS

 

Tableau 7. Top 20 – ARWU (2003-2010)

 

Tableau 8. Top 20 – ARWU (2011-2020)

Le tableau 9 donne la liste des universités qui figurent continûment dans le top 20 sur l’ensemble de la période de référence pour au moins un des classements de THE, QS, CWTS ou ARWU (comme indiqué par le signe « X » mis dans la colonne correspondante le cas échéant).

 

Tableau 9. Top 20 – Big Four

2.1. Conclusion du top 20

Nous tirons ces conclusions sur la base des tableaux précédents et des tableaux et figures figurant dans l’annexe 2 « Top 20 des classements ». Pour chacun des classements considérés, on observe une grande stabilité du top 20 au cours des années :

– 24 universités se partagent le top 20 de THE sur la période 2011-2021 ;

– 27 universités se partagent le top 20 de QS sur la période 2012-2021 ;

– 32 universités se partagent le top 20 de CWTS sur la période 2011-2019 ;

– 26 universités se partagent le top 20 d’ARWU sur la période 2003-2020 ;

– la prédominance des États-Unis est écrasante, avec 13 universités américaines continument présentes pendant l’ensemble des périodes de référence pour le top 20 du classement de THE, 9 pour QS, 10 pour le classement de Leiden14 et 15 pour le classement de Shanghai ;

– en outre sept universités apparaissent dans les quatre classements continûment sur l’ensemble de leurs périodes de référence respectives. Elles sont toutes américaines ;

– en dehors des États-Unis, le Royaume-Uni et la Suisse sont les seuls pays à avoir des universités classées continûment dans le top 20 pour la période de référence d’au moins un organisme de classement. Plus précisément, Oxford et Cambridge apparaissent continûment dans les classements de THE, QS et ARWU (et rentrent dans celui de CWTS en 2018 et 2019) alors que l’ETH Zürich figure au même titre dans les classements de THE et QS (et rentre dans ceux de Leiden en 2017, 2018, 2019 et d’ARWU depuis 2013) ;

– bien que les raisons de leurs entrées diffèrent, deux cas particuliers sont notables. L’université Paris-Saclay (France) entre ainsi en 2020 – l’année de sa « naissance » – dans le top 20 du classement ARWU. Les mérites de cette trajectoire impressionnante reviennent essentiellement au fait que cette institution est le résultat du rapprochement d’entités puissantes et de grande qualité qui lui préexistaient. Le cas de la Tsinghua University, qui rentre dans le top 20 de THE, est différent dans la mesure où cette institution, qui existe depuis 1911 même si elle a fortement évolué depuis lors, a connu une trajectoire en progression dans l’ensemble des classements au cours des années. Ces deux exemples illustrent autant les différences d’approches nationales que l’impact des méthodologies adoptées par les classements sur le rang des institutions prises en compte ;

– en termes civilisationnels, ces scores indiquent une prédominance de la civilisation occidentale puisque les quatre pays représentés dans le top 20 de THE sur la période 2011-2020 et quatre des cinq pays représentés pour ce classement en 2021, les cinq pays représentés dans le top 20 de CWTS, cinq des sept pays représentés dans le top 20 de QS et quatre des cinq pays représentés dans le top 20 d’ARWU y sont rattachés. Il convient toutefois de noter que le Japon avec l’Université de Tokyo alterne les apparitions/disparitions au sein du top 20 du classement de Shanghai, alors que la Chine et Singapour font leur apparition (depuis 2019 pour la Chine et 2015-2016 pour Singapour) dans ceux de QS.

Au final, selon les années, la civilisation occidentale représente entre 85 et 100 % des universités du top 20 des classements de THE, QS, CWTS et ARWU. Le top 1 pour mille de l’ensemble des universités est donc sous domination occidentale, du moins pour l’instant. Cette stabilité et quasi-exclusivité de la civilisation occidentale au sommet des classements ne doit cependant pas occulter les mouvements de fond qui se déroulent dans la suite du classement. Ceux-ci sont très importants, dénotent une tendance sensiblement différente dont les effets sur le top 20 se feront sentir à terme. Ce sont eux que nous examinons maintenant.

3. Analyse du top 200

À l’échelle du top 200 (et a fortiori du top 1 000), nous privilégions une analyse non plus en termes d’universités individuelles mais, dans la ligne de notre approche, en donnant deux grilles de lecture pour chacun des quatre classements de THE, QS, CWTS et ARWU :

– l’une mesure l’évolution de la représentation proportionnelle des pays phares des civilisations dans ces classements ;

– l’autre mesure l’évolution de la représentation proportionnelle des civilisations dans ces classements.

Nous renvoyons à l’annexe 3 pour des tableaux et figures complémentaires (notamment pour des informations en termes de chiffres absolus et non plus de proportions nécessairement). Dans les tableaux 3.10 à 3.14 que nous donnons maintenant par organisme de classement, nous rappelons dans la dernière ligne pour mémoire le nombre total d’universités classées dans les 200 meilleures par chacun de ces organismes. Ces chiffres peuvent parfois différer un peu de 200 selon les années et les organismes. Il peut en effet y avoir des ex aequos (et donc pas nécessairement d’erreurs), ou bien malheureusement des erreurs dans les tableaux de ces organismes (par exemple lorsqu’ils ont mal décompté les ex aequos).

3.1. Le top 200 : pays phares

L’évolution de la représentation proportionnelle des pays phares dans les quatre classements est représentée comme suit.

Tableau 10. Top 200 – THE (pays phares, en %)

 

Tableau 11. Top 200 – QS (pays phares, en %)

 

Tableau 12. Top 200 – CWTS (pays phares, en %)

 

Tableau 13. Top 200 – ARWU (pays phares, en %, 2003-2010)

 

Tableau 14. Top 200 – ARWU (pays phares, en %, 2011-2020)

3.2. Le top 200 : civilisations

Considérons non plus seulement les pays phares, mais les civilisations dans leur ensemble, et l’évolution au cours du temps de leur représentation proportionnelle dans le top 200 des différents classements. Nous prenons la liberté d’isoler dans les tableaux 3.15 à 3.19 (et également dans ceux du top 1 000) la civilisation bouddhiste, car elle figure en tant que telle sur la carte du monde des civilisations post-1990 de Huntington (Huntington 1996, carte 1.3, p. 26-27). Néanmoins l’essentiel académique de cette civilisation provient des universités de la Thaïlande, si bien qu’il serait également licite d’adjoindre cette contribution à la civilisation chinoise.

Tableau 15. Top 200 – THE (civilisations, en %)

 

Tableau 16. Top 200 – QS (civilisations, en %)

 

Tableau 17. Top 200 – CWTS (civilisations, en %)

 

Tableau 18. Top 200 – ARWU (civilisations, en %, 2003-2010)

 

Tableau 19. Top 200 – ARWU (civilisations, en %, 2011-2020)

3.3. Conclusion du top 200 : érosion de la position des États-Unis et éveil de la Chine

Un premier enseignement de ces tableaux est que la situation est nettement moins stable que celle du top 20. Analysons les choses en distinguant selon pays phares et civilisations.

Sur le plan des pays phares :

– la première observation est la croissance des « autres pays ». Leur progression est de l’ordre de 3 à 6 points selon les classements, et les explications varient selon les cas15. Cela s’explique pour THE (+ 6,75 points) par le fait que l’Allemagne passe de 10-14 universités représentées à 20-23 à partir de cette date. Pour ARWU (+ 4 points), la raison est différente puisqu’il n’y a pas d’augmentation du nombre d’universités allemandes. Ce différentiel provient en fait de l’accumulation de petites variations sur le nombre d’universités représentées en provenance d’Australie, du Canada, de Hong Kong et de Singapour. Pour QS (+ 3,89 points), l’explication vient aussi de petites variations sur le nombre d’universités représentées dans différents pays. Notons toutefois l’augmentation du nombre d’universités de France, d’Inde (nous revenons sur ce pays dans un instant) et d’Italie. Pour CWTS (+ 5,74 points), la raison n’est pas du tout l’Allemagne puisque celle-ci chute. A contrario, la croissance semble tirée par l’Australie, l’Autriche et le Royaume-Uni ;

– on constate une forte érosion de la proportion des États-Unis dans le top 200 pour les quatre classements. La position relative des États-Unis est en déclin constant avec des baisses entre 5,16 et 14 points selon les cas sur la période de référence. Cependant, les États-Unis restent relativement (mais pas absolument) dominants pour l’ensemble des classements. Ils représentent près de 30 % des institutions du top 200 de THE, et respectivement 22 %, 32,5 % et 40 % pour QS, ARWU et CWTS en fin de période de référence ;

– on observe également l’amorce d’une dynamique de la Chine vers 2014/2016. D’ailleurs cette date joue un rôle de pivot dans la compétition entre le Japon et la Chine, puisqu’elle marque le dépassement du premier par la seconde pour THE, CWTS et ARWU. La chose n’est toutefois pas actée pour QS puisque le Japon est, avec 10 universités, encore devant les 7 universités de la Chine en 2021. Pour THE, si l’on prend 2014/201516 comme point de référence pour la Chine continentale, le nombre de ses universités est passé de 3 à 7. Bien entendu, son poids relatif n’est que d’environ 3,5 % en 2021, mais ce doublement du nombre d’institutions représentées est néanmoins significatif, d’autant plus que ses deux universités les mieux classées, la Tsinghua et la Beijing University, sont en fait très bien classées. En fait, ces deux institutions sont positionnées comme suit à l’issue des périodes de référence :

– Tsinghua University : 29e pour ARWU en 2020, 15e pour QS en 2021,
20e pour THE en 2021 et 5e pour CWTS en 2019 ;

– Beijing University : 49e pour ARWU en 2020, 23e pour QS en 2021, 23e pour THE en 2021 et 9e pour CWTS en 2019 ;

– la progression de ces deux institutions est remarquable. Par exemple la Tsinghua passe de la 71e place du classement de THE en 2012 à la 20e place en 2020, de la fourchette 201-300 du classement de Shanghai en 2003 à la 29e place en 2020. La Beijing University (aussi appelée la Peking University) passe de la 49e place du classement de THE en 2012 à la 23e en 2021, de la fourchette 201-300 du classement de Shanghai en 2003 à la 49e position en 2020. La progression de ces institutions n’est certainement pas terminée. Tout comme ne l’est certainement pas celle d’autres institutions, connues comme la Fudan, la Zhejiang ou la Jiao Tong, ou en passe de l’être comme la Southern University of Science and Technology basée à Shenzhen (en Chine continentale, dans la province du Guangdong, en face de Hong Kong) ;

– le Japon décroît en perdant deux institutions dans le top 200 d’ARWU, passant de 4,5 % à 3,5 % de cette partie du classement sur la durée d’étude. Pour THE, la chute du Japon est un peu plus abrupte, passant de 2,5 % à 1 % sur la durée d’étude. La baisse des pourcentages pour QS est trompeuse, car en fait le nombre d’universités classées du Japon reste inchangé17 pour QS. Le Japon – au même titre que la Russie et l’Inde – est inexistant pour CWTS ;

– la Lomonossov est la seule université de Russie à figurer dans le top 200 de THE, QS et ARWU. Si elle permet à la Russie d’occuper 0,5 % de ces classements (dès 2003 pour ARWU, 2012 pour QS et 2015 pour THE), la Russie ne figure pas au classement de CWTS ;

– l’Inde est inexistante non seulement pour CWTS, mais aussi pour THE et ARWU. Elle fait une timide incursion dans QS à compter de 2015/2016 et augmente un peu dans ce classement en culminant à 1,5 %, soit trois institutions.

Sur le plan civilisationnel :

– l’Occident continue de dominer largement – et cette fois tant en termes relatifs qu’absolus – le top 200, avec une part représentant entre 74,63 % et 93 % des universités classées selon les cas sur l’ensemble des périodes de référence. Il augmente même légèrement pour THE si l’on prend 2011 comme point de départ. Toutefois il décroît continûment pour THE depuis le point culminant atteint en 2016, tout en restant encore en 2020 en dessus du score de 2011. Il baisse aussi pour les autres classements, avec par exemple une baisse de 11 points pour ARWU ;

– la civilisation chinoise est l’autre grande puissance, largement au-dessus de toutes les civilisations restantes en ce qui concerne les classements en fin de période de référence : elle représente entre 6,5 % et 13,5 % en fin de période de référence selon le classement considéré. L’évolution est différente selon que l’on considère THE, QS, CWTS d’un côté et ARWU de l’autre. Elle reste aux alentours de 10-12 % environ tant pour QS que pour THE sur les périodes de référence. Il faut toutefois noter que la variation de la Chine pour THE entre 2011 et 2012 a bien entendu eu un impact sur celle de la civilisation chinoise à la même époque, avec une chute en 2012, de 10,10 % à 6,57 %, une stabilité autour de 6 % pendant 4 ans, et une remontée à compter de 2017. Elle croît en pente douce de 4,93 à 6,5 % pour CWTS sur la période de référence. La croissance la plus notable concerne le classement ARWU, où elle passe de 1,49 % en 2003 à 13,5 % en 2020 ;

– la civilisation japonaise (qui coïncide avec le Japon, pays phare) est invisible pour CWTS tout au long de la période de référence. Elle apparait en déclin dans les trois autres classements, tout en conservant un poids de 5 % environ pour QS et 3,5 % pour ARWU en fin de période de référence. Elle passe à 1 % pour THE aussi en fin de période de référence. Elle « se fait doubler » par la civilisation chinoise à compter de 2014 pour le classement de Shanghai, le dernier classement où elle dépassait encore la civilisation chinoise ;

– les civilisations latino-américaine et islamique sont inexistantes ou quasi inexistantes pour THE, CWTS et ARWU sur l’ensemble des périodes de référence (entre 0 avec des pointes à 1,5 %) ; elles croissent toutefois pour QS atteignant respectivement 3 % et 3,5 % en 2021 ;

– les civilisations africaine, bouddhiste, hindoue et orthodoxe sont quasi inexistantes (oscillant entre 0 et 1,5 %) pour l’ensemble des classements sur l’ensemble des périodes de références.

4. Analyse du top 1 000

4.1. Terminologie

L’intitulé « top 1 000 » est abusif mais pratique ; abusif, car le nombre maximum d’universités classées par THE et Shanghai n’a pas toujours été de 1 000.

– THE classe 198 universités en tout en 2011 (si bien que ce classement coïncide avec le top 200 de THE cette année-là) et augmente le nombre d’universités classées au cours des années : environ 400 en 2012, 800 en 2016, et progressivement jusqu’à atteindre 1 527 institutions en 2021.
– QS passe de 795 universités classées en 2012 à 1 003 en 2021.

– CWTS classe 500 institutions en 2011 puis évolue vers environ 900 en 2017 puis 963 en 2019.

– ARWU classe 500 universités de 2003 à 2016 (avec quelques oscillations autour de ces 500), puis 800 en 2017 et 1 000 à partir de 2018.

Ces précautions oratoires faites, nous avons cependant choisi de retenir ce terme de top 1 000 parce qu’il indique la direction avec commodité. Le lecteur sait maintenant ce qu’il recouvre. En fait on pourrait dire le « top tout », où « tout » désigne l’ensemble des universités classées, sachant que ce « tout » tend vers 1 000 au fur et à mesure des années. Ce terme n’est toutefois pas élégant, donc nous continuons avec le « top 1 000 » en attendant mieux.

4.2. Impact du nombre d’universités classées dans le top 1 000

Nous nous attachons ici aux proportions des universités des pays phares des civilisations, et des civilisations elles-mêmes, et renvoyons à l’annexe 4 pour des compléments utiles. Les résultats sont donnés dans des tableaux. Le fait que THE, QS (dans une moindre mesure), CWTS et ARWU classent de plus en plus d’institutions a bien entendu un impact sur la signification réelle des pourcentages que nous prenons en compte. Ils disent de plus en plus de choses significatives à mesure que l’on s’éloigne des 200 universités classées. Il convient en effet de distinguer l’analyse du top 1 000 de celle du top 200. Nous indiquons donc dans la dernière ligne des tableaux le nombre total d’institutions classées une année donnée par ces organismes.

4.3. Le top 1 000 : pays phares

L’évolution de la représentation des universités des pays phares dans les classements est résumée dans les tableaux 20 à 24.

Tableau 20. Top 1 000 – THE (pays phares, en %)

 

Tableau 21. Top 1 000 – QS (pays phares, en %)

 

Tableau 22. Top 1 000 – CWTS (pays phares, en %)

 

Tableau 23. Top 1 000 – ARWU (pays phares, en %, 2003-2010)

 

Tableau 24. Top 1 000 – ARWU (pays phares, en %, 2011-2020)

4.4. Le top 1 000 : civilisations

Les tableaux 3.25 à 3.29 traduisent les évolutions civilisationnelles selon les organismes de classements.

Tableau 25. Top 1 000 – THE (civilisations, en %)

 

Tableau 26. Top 1 000 – QS (civilisations, en %)

 

Tableau 27. Top 1 000 – CWTS (civilisations, en %)

 

Tableau 28. Top 1 000 – ARWU (civilisations, en %, 2003-2010)

 

Tableau 29. Top 1 000 – ARWU (civilisations, en %, 2011-2020)

4.5. Conclusion du top 1 000

Les cartes sont fortement rebattues – les États-Unis et la civilisation occidentale continuent de dominer mais sont en fort déclin ; a contrario montée en puissance de la Chine et de la civilisation chinoise ; résistance du Japon. Tout d’abord, l’augmentation du nombre d’universités présentes dans les classements de THE, QS, CWTS et ARWU traduit le fait que les classements en général et ces quatre en particulier gagnent en importance tant auprès des institutions individuelles que des gouvernements des pays dans lesquels elles se situent. En effet, toutes les universités classées par THE et QS ont déposé une demande auprès de ces organismes. Notons que celles qui ne remplissent pas certains critères ne sont bien entendu pas classées. Pour CWTS et ARWU, les raisons sont différentes, mais au final une pression naturelle s’exerce pour classer davantage d’institutions. La visibilité internationale passe donc de plus en plus par ces classements.

Il convient également de bien garder en tête que les chiffres disent davantage
par rapport à l’analyse du top 200 à mesure que le nombre d’institutions classées augmente. Il nous parait donc utile de prendre des dates pivots :

– 2015 pour THE : passage de 397 à 800 institutions classées ;

– 2013 pour CWTS : passage de 492 à 750 institutions classées ;

– 2016 pour ARWU : passage de 500 à 800 institutions classées.

Nous ne prenons pas de date pivot pour QS, car les classements portent sur
des nombres déjà significatifs d’institutions dès le début en 2012. Nous analysons maintenant les choses en distinguant selon pays phares et civilisations.

Sur le plan des pays phares :

– on observe tant pour THE, QS que pour ARWU une relative stabilité, voire une légère augmentation des « autres pays » (c’est-à-dire ceux qui ne sont pas des pays phares des civilisations). Ils représentent environ 60-67 % pour THE (en augmentation), 70-71 % (stable) pour QS et 57-59 % (idem) pour ARWU sur la période de référence. Le classement de CWTS indique toutefois une autre direction, passant de 62 % à 57 % sur la période de référence (en diminution donc) ;

– le déclin de la place relative des États-Unis est patent pour THE, CWTS et ARWU. Elle passe d’environ 35 à 12 % pour THE, 25 % à 18 % pour CWTS et 32 à 20 % pour ARWU. La baisse est moins sensible chez QS, passant de 18 % à 15 %. Cependant, même avec le fait que le nombre d’universités classées a augmenté, le déclin reste visible pour les quatre classements, et très important pour trois d’entre eux. En comparant la fin des périodes de référence avec les dates pivots, les États-Unis perdent environ 15 points pour THE, 7 points pour CWTS et pour ARWU ;

– la Russie est certes en augmentation pour THE, QS et ARWU, mais avec un point culminant aux alentours de 3,14 % dans le meilleur des cas (THE). Elle décroit légèrement pour CWTS, en restant en deçà de 0,4 % ;

– l’Inde est comparable à la Russie sur ce plan : en augmentation pour THE, QS et ARWU mais aussi pour CWTS, avec toutefois une culmination aux alentours de 4 % dans le meilleur des cas (THE) ;

– les dynamiques de la Russie et l’Inde n’indiquent pas que ces pays vont jouer un rôle majeur dans l’élite académique mondiale, tout du moins au vu des données actuelles. L’augmentation de la représentativité de ces pays (avec des points culminants faibles au final) coïncide avec les phases d’augmentation du nombre d’universités classées (au tournant de 2015 pour la plupart). La situation est plus contrastée en ce qui concerne la Chine et le Japon ;

– la montée de la Chine est claire. Pour THE, elle quasi double sa représentativité sur la durée de l’exercice (et atteint près de 6 % en 2021 pour THE), quasi triple pour CWTS (et atteint 17 % en 2019) et elle multiplie par 7 pour ARWU (passant de 2 % en 2003 à 14,4 % en 2020). Seul QS ne voit pas de montée sensible pour ce pays (stable avec des oscillations aux alentours de 3 à 5 %). Nous pensons que la dynamique des universités chinoises est ascendante et qu’elles progresseront à l’avenir, tant pour ce qui concerne leur nombre au sein des classements que pour ce qui concerne leurs classements individuels ;

– le Japon progresse fortement également pour THE. Sa représentativité quasi triple (elle est de 8,19 % en 2019, puis descend à 7,6 % en 2021). Mais le Japon a tendance à perdre du terrain (de 7,21 % à 4 %) pour le classement de Shanghai, et reste stable (en légère décroissance, aux alentours de 4 à 5 %) pour les classements de QS et CWTS. Il nous paraît peu probable que les universités japonaises progressent fortement ; au mieux elles peuvent espérer se maintenir.

Sur le plan civilisationnel :

– l’érosion de la civilisation occidentale est manifeste, avec un passage de 83 % en 2003 à 63 % des universités représentées au classement de Shanghai sur la durée de l’exercice, avec une accélération de la chute à la date pivot. Le même phénomène amplifié (de 85 à 47 %) s’observe sur le classement de THE, avec l’accélération de la chute à la date pivot. Une érosion est aussi perceptible pour QS (61 à 58 %) et CWTS (75 à 57 %) ;

a contrario, la montée en puissance de la civilisation chinoise est limpide, avec un triplement (de 6 % à 20 %) de sa représentativité au classement de Shanghai, et un passage de 12 à près de 23 % pour CWTS. Elle passe de manière beaucoup plus modeste de 10,1 % à 11,72 % pour THE, et de 9,56 à 10,37 % pour QS ;

– en termes civilisationnels, le Japon croit pour THE (avec un point culminant en 2019 à 8,19 %, suivi de 7,6 % en 2021), décline pour QS et CWTS et reste à peu près stable pour ARWU18;

– la civilisation islamique progresse sensiblement pour THE, CWTS et ARWU (× 9, respectivement × 10 sur les périodes de référence pour THE et ARWU) et aussi pour QS (passant de 6 % à 9 %) et représente entre 4,4 % et 13,56 % des universités en fin de période de référence. Elle dépasse même la civilisation chinoise pour THE en 2020. L’accélération se fait aux dates pivot, notamment via les performances des pays du tableau 3.30. Pour THE, CWTS et ARWU on note dans ce tableau les progressions du nombre d’institutions des pays significatifs pour l’un des classements entre la date pivot et la fin de la période de référence. Nous indiquons pour mémoire (car la croissance est moindre) les performances de ces pays pour QS, en notant la différence de progression entre le début et la fin de la période de référence. Les pays sont classés dans l’ordre de leur performance en fin de période de référence pour THE ;

Tableau 30. Évolution Big Four – pays islamiques

– la civilisation latino-américaine progresse fortement pour THE, atteignant 7,2 %, ainsi que pour ARWU, atteignant 3,5 %. Elle progresse beaucoup moins pour CWTS, où elle représente 3,53 % en fin de période de référence. Pour QS, elle décroit pour atteindre 7,98 % en fin de période de référence. Le tableau 3.31 est conçu comme précédemment pour identifier les pays significatifs en termes de progression pour THE et ARWU, et en indiquant la performance de ces pays pour mémoire pour QS et CWTS ;

Tableau 31. Évolution Big Four – pays latino-américains

– la civilisation orthodoxe progresse pour THE (de 0 à un peu plus de 6 %, avec un passage de 0,76 % à 6,02 % entre la date pivot et 2021). Elle connait une progression plus modérée pour QS (passant de 4,8 à 5,7 %). Elle reste stable pour CWTS et ARWU et représente entre 1 % et 2 % des universités en fin de période de référence (la date pivot a peu d’impact). Somme toute, la civilisation orthodoxe
reste peu significative sur le plan académique. Ses marges de manœuvre vers le haut semblent faibles. En effet, le cas de la Russie fait l’objet d’une analyse spécifique dans le chapitre 4 ; par ailleurs, tant la Grèce que l’Ukraine ont d’autres préoccupations (économiques, politiques). Le Kazakhstan progresse certes dans le classement de QS, mais pas ou pas significativement dans les autres19. Le tableau 3.32 montre d’où proviennent essentiellement les progressions pour THE, et les pays significatifs pour QS, avec les impacts pour mémoire sur CWTS et ARWU ;

Tableau 32. Évolution Big Four – pays orthodoxes

– la civilisation hindoue – qui quasi coïncide avec l’Inde comme le montre le tableau A1.1 – progresse pour les quatre classements avec un positionnement culminant cependant entre 1,5 % (pour ARWU) et 4,19 % (pour THE), donc aussi somme toute peu significatif ;

– les civilisations africaine et bouddhiste ne jouent pas de rôle important sur le plan des classements des universités (elles représentent entre 0,6 et 1,4 %) et rien n’indique qu’elles vont percer dans les années à venir. Notons toutefois de nouveau qu’en dépit de leur modestie, les contributions de la civilisation bouddhiste, provenant essentiellement de la Thaïlande, pourraient aussi bien aller au crédit de la civilisation chinoise, et ainsi renforcer le positionnement de cette dernière.

On constate donc que plus on classe d’universités, moins c’est au bénéfice des universités occidentales et notamment des États-Unis, et plus c’est au bénéfice des universités de Chine et de la civilisation chinoise plus largement. Parmi les autres pays phares, le Japon (au même titre que la civilisation japonaise) résiste. Un objectif louable serait déjà de maintenir son rang. En effet, ce pays ne semble pas actuellement en mesure de progresser. Les progrès de la Russie20 et de l’Inde ne doivent pas cacher la modestie des performances actuelles de ces pays. La civilisation orthodoxe et la civilisation hindoue suivent plus ou moins une même trajectoire en légère progression et vont probablement atteindre un plateau à faible altitude. Ces légères progressions sont toutefois nettement en deçà des deux civilisations suivantes.

En effet, la civilisation islamique et la civilisation latino-américaine connaissent une progression plus marquée, tirée essentiellement par l’Iran et la Turquie pour la première, et par le Brésil puis dans une moindre mesure par le Chili et le Mexique pour la seconde. Se prononcer sur les dynamiques de ces deux civilisations sur le plan universitaire nécessiterait une étude plus poussée.

Les civilisations africaine et bouddhiste sont insignifiantes sur le plan des classements des universités dans le top 1 000, et il est peu probable que les choses changent à court ou moyen terme.

 


1 Un classement qui n’en est pas un occupe également les esprits des universités européennes. Il s’agit d’U-Multirank sur lequel nous ne dirons rien de plus au-delà de signaler son existence (U-Multirank n.d.).

2 Toutefois, nous les incluons dans notre analyse de la Russie universitaire au chapitre 4.

3 Il pourrait être utile de faire une analyse systématique des classements thématiques sous l’angle pris dans le présent ouvrage. On pourrait aussi imaginer de regarder davantage les phénomènes d’intensification autour de zooms thématiques. Par exemple, examiner quelles sont les zones géographiques où un accent particulièrement notable est mis sur l’intelligence artificielle en lien avec le Big Data.

4 À savoir les États-Unis pour la civilisation occidentale, la Chine pour la civilisation chinoise, l’Inde pour la civilisation hindoue, le Japon pour la civilisation japonaise et la Russie pour la civilisation orthodoxe.

5 En renvoyant à l’annexe 1 pour l’affectation des zones géographiques et des pays aux civilisations, y compris pour les pays traversés par plusieurs civilisations.

6 La traçabilité est aisée lorsqu’une année est fixée. Les difficultés majeures que nous avons rencontrées avec le classement de Leiden concernent autre chose, à savoir principalement l’inconsistance des noms des institutions d’une année à l’autre.

7 Apportons une nuance (valide notamment pour la France). Lorsque des paysages universitaires nationaux sont redéfinis, il peut arriver que les gouvernements ou les universités « recréées » (par exemple après des fusions) signalent ces phénomènes auprès des organismes de classement de sorte que ces nouvelles structures ne soient pas oubliées. Ceci peut poser des soucis lorsque ces réorganisations sont difficiles à expliquer. Par exemple tel peut être le cas lorsqu’un pays crée une « superstructure » regroupant plusieurs organismes, et qu’il s’adresse à ARWU dans l’espoir de voir classés tant la superstructure que les organismes qui la constituent. La France rencontre par exemple ce type de difficulté.

8 L’augmentation du nombre d’universités classées (sur lequel nous reviendrons plus tard dans la section 3.4) traduit l’engouement des institutions et leur désir/besoin de gagner en légitimité par l’intermédiaire des classements.

9 Nous entendons par là que plus une université est connue, plus elle le sera. La réputation s’autoalimente.

10 Cependant THE, tout comme QS, publie un classement des jeunes universités (celles de moins de 50 ans) dans lequel les indicateurs restent les mêmes mais leurs poids changent. Nous ne traitons pas du sujet des jeunes universités ici, malgré son importance, et renvoyons à l’ouvrage collectif (Altbach et al. 2018) pour une étude plus ciblée sur ces jeunes pousses, dont l’Université du Luxembourg (Leprévost 2018).

11 Avec l’impact, négatif, qu’on imagine dans les domaines de l’informatique, de l’ingénierie et des sciences sociales et humaines. Ainsi, le présent ouvrage passera en dessous du radar du classement de Leiden.

12 Une brillante publication en chinois, en espagnol, en français ou en russe est donc ignorée par ce classement.

13 Sans qu’il n’y ait d’impossibilité totale. Ainsi par exemple l’Université du Luxembourg, fondée en 2003, apparaît depuis 2017 dans le classement de Shanghai (c’est-à-dire essentiellement depuis le passage de 500 à 1 000 institutions classées par ARWU).

14 Ou 11 si on compte la Rockfeller University qui apparaît en 1re position en 2014, 2016, 2017 et 2018, mais n’apparaît pas du tout les autres années… En attendant de comprendre ce phénomène sporadique assez curieux, nous ne prenons pas en compte cette université dans les statistiques, au prix peut-être d’une injustice.

15 Voir notamment l’annexe 3 sur le top 200 des classements (notamment la section A3.1 sur « tous pays »).

16 Notons que la représentation de la Chine connait une certaine fluctuation pour THE de 2011 à 2012 puisque 3 institutions disparaissent. La Chine varie un peu jusqu’en 2016, puis progresse au sein de ce classement.

17 La raison est que le total n’est pas toujours de 200 universités au cours du temps.

18 Ces évolutions sont logiques puisqu’elles reflètent ce qui arrive au Japon, à la fois pays phare et civilisation.

19 Il conviendra toutefois de surveiller l’évolution de la Nazarbaïev University pour des raisons clarifiées dans (Katsu et Saniyazova 2018).

20 Nous nous penchons sur ce pays dans le chapitre 4 avec des pistes pour (selon nous) améliorer les choses.

 

 

Pour en savoir plus : Universités et civilisations