À l’occasion de la Fête de la Science, Bernard Reber, directeur de recherche au CNRS, centre de recherche politique de Sciences Po, Paris et philosophe, revient sur les avancées scientifiques les plus importantes de ces 30 dernières années :

Au fil des années, les Fêtes de la Science permettent à tout un chacun et à tout âge la rencontre entre chercheurs et citoyens. Si c’est souvent l’occasion pour les chercheurs de toutes les disciplines de faire partager leur passion, et donc de permettre à toute la société de mieux comprendre le monde et son évolution, cette rencontre a pris depuis une trentaine d’années des directions bien différentes. Les citoyens veulent non seulement comprendre comment les sciences et les technologies nous font comprendre le monde tout en le modifiant, mais certains veulent avoir leur mot à dire sur les choix scientifiques et leur désirabilité. De nombreux projets européens sont passés de la science pour la société à la science avec la société.

Ces changements et ces nouveaux défis marquent durablement les conditions même des avancées scientifiques. En même temps, cette rencontre beaucoup plus exigeante que la transmission des savoirs, mobilise des recherches dédiées. En effet, elle requiert l’ajustement des savoirs (interdisciplinarité) pour des publics hétérogènes et divisés, afin d’arriver à des politiques de la recherche plus responsables. Il en va de la viabilité non seulement des sciences mais de nos démocraties contemporaines et plus largement des environnements des générations futures.

  • Evaluation participative des technologies controversées.

Ces trente dernières années ont été jalonnées par toute sorte d’innovations technologiques tirant bénéfice de découvertes scientifiques. Ces technologies marquent profondément l’environnement et les comportements humains, dans tous les domaines : production alimentaire (OGM), communication (Internet), jusqu’aux recherches sur le cerveau. Si certains saluent ces innovations, d’autres sont plus sceptiques. La technologie n’est pas neutre, on le sait depuis longtemps, mais la puissance des changements interroge au point que des offices d’évaluation des choix scientifiques et techniques et des organisations ont fait preuve d’innovation dans ce domaine en ouvrant plus largement à la société cette évaluation. Voulue comme complémentaire, ce lieu d’innovation institutionnelle a produit des expériences tout aussi riches pour comprendre les liens entre sciences et société que pour avoir une idée de tout ce qui reste à faire pour améliorer la qualité de ce genre d’évaluation complexe.

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  • Innovation responsable

Vouloir des liens plus serrés entre sciences et société, voir sciences et citoyens, ne va pas de soi. Ils peuvent prendre des formes très diverses, allant du plaisir de faire connaître plus largement ses travaux, d’informer, jusqu’à répondre à la question de savoir en quoi les productions scientifiques sont responsables. Certes les chercheurs obéissent déjà à toutes sortes de responsabilités, professionnelles, juridiques ou de conformité éthique, pourtant la responsabilité peut aller bien plus loin. Elle n’est d’ailleurs pas qu’individuelle. Ce souci d’aller au-delà de la simple prouesse technique, mais jusqu’à anticiper certains usages, fait partie de cette quête nouvelle. L’innovation responsable répond d’ailleurs à diverses exigences : apprentissage, inclusion, science ouverte, gouvernance, éthique.

série Innovation et responsabilité

série Innovation et recherche responsables

 

Remise des Trophées de la recherche en éthique à Sophie Pellé et Bernard Reber par Didier Sicard

Prix de la Fondation Ostad Elahi pour l’éthique

  • Les responsabilités scientifiques face aux grands défis.

Au-delà des innovations dans tous les domaines, de l’évaluation scientifiques, des scientifiques sont étroitement associés à des expériences démocratiques hors du commun, pour conseiller non seulement les élus et les décideurs, mais des groupes de citoyens tirés au sort. C’est le cas de la Convention citoyenne pour le climat française, qui a inspiré la proposition d’une loi pour lutter contre le réchauffement climatique. D’autres pays ont connu pareille expérience, UK, Allemagne, bientôt Etats-Unis. La place des scientifiques-experts et des citoyens changent. Elle est perfectible et peut d’ailleurs être diversement envisagée. Il en est de même des relations entre tous lieux de décision concernés où des responsabilités communes mais différentes doivent pouvoir s’articuler au mieux.

Colloque « Convention Citoyenne pour le Climat : premiers résultats de la recherche »

 

Conférence Global Alliance of Universities for the Climate

 

  • La gestion civile des émotions.

Si des chercheurs éprouvent des émotions positives devant leurs découvertes, souvent réalisées en équipe, et surtout les usages potentiels de celles-ci, ils doivent parfois affronter les oppositions et les émotions inverses, peur, et parfois même colère de leurs concitoyens. Ce qu’ils voyaient comme des avancées est perçu très différemment, du danger potentiel au rejet. Ces technologies font l’objets de controverses scientifiques publiques. Pensons aux OGM ou aux nanotechnologies. La part prises par les émotions, contradictoires, dans ces débats est grande. D’ailleurs les émotions des chercheurs elles aussi sont diverses : jalousie, peur, dégoût, surprise, admiration, haine, tristesse. L’émotion de la découverte peut donc être conjuguée au pluriel. D’ailleurs ces émotions peuvent dépendre de ce que l’on cherche à savoir ou à résoudre.

Savoir gérer la part qui revient aux émotions et à d’autres dimensions cognitives et rationnelles, surtout dans des dynamiques collectives et politiques où se rencontrent chercheurs et non-chercheurs, est donc un enjeu vital, tant pour la science que pour la vie civile. Les sciences cognitives et la psychologie morale redécouvrent ce dont la rhétorique avait déjà l’intuition.

  • Pour une bonne science en temps de post-vérité : un défi démocratique

Pour une évaluation et une science responsable, il est important de prendre du recul sur les conditions-mêmes de production et de certification des savoirs. C’est une priorité pour la santé de nos sociétés puisque les nouveaux moyens de diffusion permettent la cohabitation de savoirs validés et des pseudo-savoirs. Clarification sur les questions posées, méthodes, moyens de vérification, niveau de certitude, autant de question qui font partie de ce qu’on appelle épistémologie. Le meilleur moyen de lutter contre la post-vérité ou la production de faits « alternatifs » est encore de revenir aux épistémologies de chaque discipline et à l’état des connaissances, afin de discerner entre bonne et mauvaise science.

Une Encyclopédie aujourd’hui devrait pouvoir contribuer à cela, tant pour les savoirs positifs (les résultats) que leurs conditions de production.

Aller jusqu’à poser les questions éthiques relatives à ces productions scientifiques, permet qu’elles soient bonnes entièrement, c’est-à-dire au-delà leur vérité et de leur précision.

Sociologie, éthique et épistémologie des sciences - Encyclopédie SCIENCES

  • L’émotion de la re-découverte philosophique

Le savoir particulier qu’est la philosophie ne peut se contenter de découvrir. Elle se doit d’être créative sur la façon-même de formuler les questions, ou même ce qu’est une découverte. Les grands philosophes se sont distingués par la reprise plus convaincante des mêmes questions en les reconfigurant différemment, parfois en tenant compte d’autres savoirs (philosophie des sciences), parfois non (métaphysique, philosophie morale). Cette créativité propre à la philosophie, notamment sur le plan argumentatif, se conjugue parfois à la capacité à mettre ensemble des savoirs différents. Certains philosophes se confrontent même à des expériences à intégrer dans la réflexion.